Mardi 4 avril dernier, le Département Recherche, Enseignement et Formation de la Maison organisait la 5e édition de ses journées d’étude sur le thème “Crise des vocations, crise de la transmission?”. Riche des discussions entre cliniciens, chercheurs et participants, cette journée a permis de réfléchir collectivement à ce qui fait la richesse des soins palliatifs et qu’il importe de préserver et de transmettre. A l’heure où le mouvement des soins palliatifs montre des signes importants de turn-over et où la perspective d’une évolution de la législation sur la fin de vie réinterroge ses fondements, nous espérons que le replay de cette journée nourrira le désir de travailler en soins palliatifs.
9h15-10h45 Le plaisir de transmettre
Table Ronde avec Joseph Dautais – Infirmier, Olivier Manimben – Aide-soignant, Danièle Leboul – Psychologue
Alors qu’un turn-over inédit touche autant les hôpitaux que les services de soins palliatifs, la conservation de la culture palliative devient un enjeu central. Comment transmettre aux nouveaux arrivants cet esprit et cette identité propres aux soins palliatifs ? Bien au-delà des transmissions des protocoles et techniques, la question de transmettre les valeurs et les règles de fonctionnement tacites propres aux différentes équipes se pose. Comment accueillir et intégrer les nouveaux soignants dans ces conditions ? Comment s’enrichir de l’expérience des nouveaux soignants sans déstabiliser l’esprit qui caractérise une équipe ? Objectifs pédagogiques :Identifier les valeurs et règles de travail qui constituent la culture palliati
Les journées en unités de soins palliatifs sont rythmées par de nombreux temps de transmission formels et informels. Ils peuvent être perçus comme essentiels ou parfois inutiles par certains. Quel est le rôle de ces temps de transmission ? Qu’est-ce qui se joue au sein de ces espaces routiniers ? Est-ce un espace de communication, de délibération, de prise de décision ? Est-ce un lieu de création de sens pour les membres de l’équipe ? Qu’est-il autorisé ou interdit de dire ? Quel est le langage ou le vocabulaire utilisé pour parler des patients et du soin ? Cette table ronde cherche à explorer les différentes facettes des transmissions. Objectifs pédagogiques : Définir la fonction et la dynamique des transmissions
12h45-13h45 Pause Déjeuner
Animation de l’après-midi par Agata ZIELINSKI , philosophe
13h45-15h15. Du domicile à l’hopital : une histoire de transmissions
Table Ronde avec Marie-Lorraine DE WARREN (Infirmière), France VAUTIER (Médecin) et Elise RICADAT (Psychologue)
A partir d’une situation complexe, la question du lien domicile-hôpital et de la coopération entre équipes est discutée. Cette coopération interdisciplinaire et inter-structure est basée non seulement sur des transmissions, des échanges fins et rapprochés mais également sur la transmission d’une culture palliative. Objectifs pédagogiques :Favoriser la communication entre différentes structures du domicile et de l’hôpital
15h15-15h30 Pause
15h30-17h00 Le récit de vie : une transmission ?
Table Ronde avec Lucile de FRAGUIER (Bénévole), sophie CAVALIÉ Assistante-sociale et Valéria MILEWSKI (Biographe hospitalière)
Soignants et bénévoles travaillant en soins palliatifs sont dépositaires d’un héritage légué par certains patients. Tous les patients ne transmettent pas quelque chose, ni la même chose à tous. Pour certains patients, il est important de laisser, à travers un récit de vie, des conseils, une expérience, des raisons de vivre… Pour d’autres, l’enseignement qu’ils donnent passe par leur manière de traverser ce temps de fin vie. Ce trésor peut être directement adressé à un soignant ou à un bénévole mais il arrive que celui qui écoute ne soit qu’un vecteur chargé de transmettre ce message à un proche. Cette transmission peut être lourde pour celui qui en devient responsable. Quelle est la place de cette transmission en soins palliatifs ? Objectifs pédagogiques :Définir les enjeux et les limites de l’écoute et de la transmission des récits de vie des patients
17h00-17h30 Conclusion par Daniel D’HEROUVILLE (Médecin)
Le Centre Sèvres et l’Institut Catholique de Paris proposent un DU d’éthique : soin et santé dans une société pluraliste. Accompagner, discerner,décider. la Maison Médicale Jeanne Garnier est partenaire de ce programme avec l’intervention de nombre de ses professionnels.
Face aux défis d’une société complexe et pluraliste aux références multiples, les médecins, soignants, aidants, bénévoles,
travailleurs sociaux, cadres (ou professionnels) d’établissements médico-sociaux et acteurs politiques sont confrontés à des
situations éthiques problématiques et doivent se décider dans l’incertitude.
Le DU d’éthique a pour objectif de répondre de façon interdisciplinaire à ces défis de la réflexion et de la pratique en
s’inspirant d’un humanisme nourri d’une longue tradition philosophique et religieuse, en particulier catholique.
Il permettra d’acquérir des connaissances et des compétences sur les grands principes et les fondements du discernement
éthique en vue de les mobiliser dans la délibération et dans la prise de décision en situation complexe.
Certains patients hospitalisés en unités de soins palliatifs demandent l’euthanasie et ceci, indépendamment de la législation. Alors que des études ont exploré les raisons de ces demandes, on sait peu de choses de leurs répercussions subjectives, relationnelles et sociales pour le patient.
Le Pr Frédéric Guirimand, Danièle Leboul et Anne Bousquet, sont membres du DREF (Département Recherche Enseignement et Formation) de Jeanne Garnier. Ils ont participé à l’étude “Understanding why patients request euthanasia when it is illegal: a qualitative study in palliative care units on the personal and practical impact of euthanasia requests” qui a donné lieu en janvier 2022, à une publication dans Palliative Care and Social Practice. https://doi.org/10.1177/26323524211066925
Sur la base d’entretiens approfondis avec des patients demandant l’euthanasie dans 11 unités de soins palliatifs françaises, cette étude a pour objectif de comprendre le rôle ou fonction des demandes d’euthanasie du point de vue du patient et leur impact sur le patient et sur les pratiques de soin. Une analyse thématique des données a été réalisée.
Les congressistes de la SFAP poseront leurs valises du 15 au 17 juin 2022 au Palais de l’Atlantique à Bordeaux. Au total, 7 communications de la Maison Médicale ont été sélectionnées et seront présentées.
· Coopération en situation de crise sanitaire : l’expérience de renfort en Guadeloupe, Sandrine Marsan, Communication orale
· Spiritualité et pratiques innovantes en milieux de soin, Nicolas Pujol, Claire Hibon, Frédérique Bonenfant, Etienne Rochat, Communication orale
· L’intelligence des corps dans la rencontre de soin : le travail vivant contre la protocolisation, Monique de Kerangal, Communication orale
· Le compagnonnage pour initier une démarche palliative intégrée et précoce en EHPAD, Simon Martine, Emmanuel Bagaragaza, Célia Broussard, Nathalie Bouscaren, Morgan Brunet, Sylvie Barois, Communication orale
· Apports de la kinésionomie Clinique dans la prise en charge des douleurs liées aux mobilisations en Soins Palliatifs, Laëtitia Gousset, Communication poster
· Les apports de la kinésionomie clinique en soins palliatifs Célia Broussard, Valérie Girard, Simon Martine, Elodie Pothin, Nicolas Pujol, Communication poster
· Mise en place de l’aromathérapie : l’expérience de la MMJG, Sophie Robilliard, Laurent Taillade, Nathalie Bouscaren, Simon Martine, Anne De La Tour, Communication poster
Ce nombre conséquent de présentations retenues souligne l’intérêt que porte le groupe scientifique de la SFAP aux initiatives mises en place: Soulignons enfin que plusieurs de ces travaux ont abouti grâce à la précieuse collaboration entre les soignants et l’équipe de Recherche Clinique. Bon vent à Bordeaux à tous nos congressistes!
La crise sanitaire que nous traversons est venue souligner l’importance du corps dans le travail du soin. Les gestes barrières ont en effet en commun d’induire une distance physique, distance qui modifie de facto les pratiques. L’importance du visage et du toucher dans le travail de soin, tout comme celle du corps à corps se rappellent à nous durant cette période si particulière. Cette journée d’étude n’est pour autant pas une journée sur le thème de la crise sanitaire ; celle-ci est simplement convoquée ici comme opérateur d’intelligibilité pour repenser autrement la question du soin.
Les soins palliatifs constituent un lieu privilégié pour explorer les rapports entre l’intelligence du corps et l’intelligence du soin. Ils illustrent en effet de manière exemplaire que tout soin technique est relationnel et tout soin relationnel est technique. Un change, une injection, un examen corporel ne se font jamais de manière complètement standardisée ; les soignants s’adaptent à l’état affectif, émotionnel, physique des patients. On ne fait pas une injection à une personne angoissée de la même manière qu’à une personne sereine : on adapte sa manière de parler, de se mouvoir, de toucher le corps du patient. Toute technique de soin engage des habiletés relationnelles. De même, l’idée que l’empathie, l’écoute, l’attention et la présence relèvent d’habiletés techniques va à l’encontre d’une vision « romantique » du soin selon laquelle ces qualités seraient naturelles ou intuitives. Ces qualités s’apprennent et s’affinent avec le temps. Savoir écouter c’est savoir quand se taire et quand parler. C’est une manière de se positionner au lit du malade, une intonation, une manière de regarder. Nous pourrions en dire de même pour la présence et l’attention. Toutes ces qualités relèvent de techniques du corps, d’habiletés qui s’affinent et se transmettent entre collègues à l’intérieur d’une équipe.
Si l’intelligence du corps est toujours en avance sur la conscience, poser des mots sur des sensations contribue au développement de la sensibilité. L’aller-retour constant entre l’expérience sensible et le langage contribue au développement de l’intelligence du corps : de même que le langage permet aux soignants d’aller chercher au contact des patients ce qu’ils apprennent à nommer, le fait de sentir accroit en retour leur compréhension des mots qu’ils utilisent. Organiser une journée sur le thème de l’intelligence du corps et l’intelligence du soin est ainsi une opportunité de parler autrement du travail en soins palliatifs, de tenter collectivement de mettre des mots sur un territoire immense et relativement inexploré qui constitue pourtant l’essentiel du travail vivant.
Atelier 1 : L’intelligence du corps dans le travail en binôme infirmier/aide-soignant
Le binôme infirmier/aide-soignant constitue un maillon central du travail d’équipe. Sa richesse repose sur une confiance réciproque : « avec le temps, on se comprend sans se parler ». Derrière cette affirmation se cachent des règles de travail tacites qui se sédimentent petit à petit et des habiletés du corps qui permettent de sentir dans la gestuelle et le regard de son collègue comment agir pour bien faire. La métaphore de la danse illustre bien ce que convoque, du point de vue de l’intelligence des corps, le travail en binôme. Cette capacité à se comprendre sans se parler implique dans un second temps de transmettre par le langage au reste de l’équipe une partie de ce qui n’a pas pu être symbolisé au moment du soin.
Laurène Sanchez – Infirmière, MMJG
Soizic Chauvel– Aide-soignante, MMJG
Sophie Chrétien, Infirmière en pratique avancée, Doctorante en sociologie, Présidente de l’Association nationale française des infirmières en pratique avancée
Atelier 2 : Appeler l’intentionnalité vitale des patients avec la Kinésionomie clinique
Le travail de soin n’implique pas que l’intelligence du corps des soignants. Le patient est appelé à entrer dans la danse et à mettre son intelligence au service de la coopération. La kinésionomie clinique est une approche dérivée de l’haptonomie qui offre trois concepts clés aux soignants : la présence, l’invitation et l’intentionnalité vitale. L’appropriation progressive de ces concepts permet aux soignants d’affiner leurs registres de sensibilité. En encourageant les soignants à rechercher l’intentionnalité vitale et à guider le soin plutôt qu’à l’imposer, la kinésionomie clinique témoigne et signifie que les patients sont bien vivants jusqu’à la mort.
Laurent Taillade – Médecin, MMJG
Monique De Kerangal–Infirmière, MMJG
Nicolas Pujol, Psychologue et chargé de recherche, Docteur en éthique médicale et en sciences des religions
Atelier 3 : Intelligence du soin après la survenue du décès.
Le travail en soins palliatifs revêt une dimension symbolique et culturelle. Alors que les grands récits religieux ne font plus collectivement sens, le soin se fait récit et concoure à symboliser et à mettre en rite l’irreprésentable de la mort. Le soin apporté après la survenue du décès fait ainsi œuvre de culture en tissant du sens, sans l’expliquer, autour du mystère de la mort. Ce soin relève d’habiletés du corps : des intonations ; une manière de parler, de se déplacer ; une capacité à faire silence ou à s’émouvoir ; une spontanéité auprès des proches qui appelle parfois de les prendre dans les bras ; une façon de hiérarchiser ce qui est important dans ces moments de bordure si particuliers.
Sophie Robilliard –Infirmière, MMJG
Charlotte Dubreuil – Infirmière, MMJG
Frédérique Drillaud, Anthropologue, Doctorante en sciences de l’information et de la communication
Atelier 4 : Le soin à la lumière de la Foi
Si le soin contribue à tisser du sens autour de la souffrance et de la mort, c’est en raison de la signification qui lui est donné par celles et ceux qui le pourvoient ou qui en bénéficient. Dans une société sécularisée et laïque comme la nôtre, les mots issus des traditions religieuses qui permettaient de parler de l’expérience du corps souffrant et du soin ne sont plus utilisés entre soignants. Ils continuent pourtant de nourrir l’engagement et la sensibilité de certains d’entre eux. Comment ces mots et ces récits religieux peuvent-ils nourrir un dialogue serein et respectueux des croyants et des non croyants pour penser collectivement le soin ?
Jean-François Richard– Médecin
Margarita Saldaña – Aide-soignante, MMJG
Etienne Grieu, Jésuite, Professeur en théologie, Recteur du Centre Sèvres
Atelier 5 : L’intelligence du corps dans les situations extrêmes
Le soin, s’il est toujours un corps à corps, n’implique pas forcément le toucher comme en témoigne la présence musicale de la violoncelliste ou la présence silencieuse des bénévoles d’accompagnement auprès de personnes non communicantes. Alors que les repères relationnels habituels sont brouillés, c’est par l’engagement du corps que la réciprocité inhérente au soin se construit et s’invente dans ces situations extrêmes. Mieux comprendre ce qui relève de l’intelligence du corps dans ces formes limites du soin permet d’instruire celle qui est engagée dans le soin dit ordinaire.
Claire Oppert– violoncelliste et thérapeute
Véronique Comolet – bénévole en SP
Agata Zielinski, Maître de conférence en Philosophie, Centre Sèvres
Animation de la journée
Introduction de la journée par Claire Hibon, Infirmière et Ingénieur de recherche
Matinée animée par le Docteur Anne de la Tour, Présidente de la CME de Jeanne Garnier
Après-midi animée par Marie-Dominique Trébuchet, Directrice de l’IER, Université Catholique de Paris
Conclusion de la journée par Dominique Jacquemin, Professeur de théologie, Université Louvain la Neuve